Newsletter Printemps 2010

La neige a laissé place aux inondations sur la piste en terre de l’aérodrome d’Ulaangom, à 90 km de Malchin soum. Nous sommes fin mars. Naraa attend toujours de pouvoir rejoindre son village pour effectuer sa première mission. Les mêmes conditions climatiques ont retardé l’arrivée des camions d’aliments pour animaux en provenance de la République Touva. Une fenêtre météo s’installe qui lui permet d’atteindre la province d’Uvs à 1300 km d’Oulan-Bator. 

Mais ce n’est finalement qu’au petit matin du 6 avril que les 26 tonnes de granulés achetés par la Fondation entrent dans la ville sous les yeux rassurés de Naraa.

Grâce aux dons recueillis, Naraa a pu remplir les objectifs que la Fondation s’était fixée :
1. Fournir une aide d’urgence aux familles en nourrissant leur bétail.
2. Faire une évaluation des besoins qui devront permettre d’assurer la pérennité du village.
Laissons parler les images… … …

Compte rendu de la mission d’avril :

« À mon arrivée, Ulaangom est encore sous un épais manteau neigeux. Seule la piste est dégelée. Top !


Les camions touvas n’étant pas encore arrivés, je décide de partir à Malchin sum évaluer la situation et rencontrer quelques nomades. Nous reviendrons le lendemain avec toute l’équipe dans la Jeep UAZ de Khalzaa… Soit 11 personnes !

 

Je savais que j’allais rencontrer des gens particulièrement fatigués et déprimés. En sortant de la yourte d’un éleveur, je posai la question à un ami pour savoir si cet homme avait récemment perdu quelqu’un de sa famille. Il était si triste ! 

Mon ami me rétorqua :

 

Naraa , il vient juste de passer l’hiver. C’est comme ça pour tout le monde à la fin de cette saison.
N’imagine pas chaque fois une chose pareille!

Je voyais dans son regard que ma question était décalée…

Les moutons survivants peinent à trouver de l’herbe sous la neige encore gelée.

 

Ce nomade est fier d’avoir su sauver une partie
de son cheptel mais il est inquiet pour l’avenir
de sa famille car son troupeau est décimé par le
terrible Dzud de cet hiver. »

« Comme nous, les chauffeurs
touvas ont roulé toute la nuit pour nous retrouver dès l’aube à Ulaangom. Khalzaa fait le point sur les premières livraisons à effectuer sur le trajet de retour.
Le sum est très étendu.

La fondation a acheté 652 sacs et mon frère a réussi à
avoir ½ sac par famille auprès de l’Agence Nationale des
Situations d’Urgence qui gère ce dzud dans toute la
Mongolie. Ainsi chaque famille recevra un sac et demi en
combinant les efforts.

Les compléments alimentaires sont devenus rares à Ulaangom. Le prix d’un sac s’élève maintenant à 17 000 Tugriks. Je vis alors quelques nomades venir récupérer leurs sacs pour seulement 3000 ₮ chacun puisque nous avions décidé de demander à chaque famille cette somme symbolique. Ils regardaient leurs sacs avec une certaine incrédulité, tournant autour de cette précieuse manne. Ils avaient certainement l’impression d’avoir fait
« l’affaire du siècle » en ce temps de crise. »

Sans avoir eu besoin de leur réclamer des mots de reconnaissance sur ce qu’ils éprouvaient, j’eus la réelle impression d’avoir fait quelque chose de bien, au bon moment, en ciblant le besoin exact.
Mon frère avait eu raison de vouloir faire ce geste pour tout le monde sans distinction dans leurs pertes puisque chacun avait traversé cet hiver si dur.

 

Nous étions nombreux pour l’organisation du chargement de nos camions. J’étais heureuse de vivre ces moments avec mes villageois. C’était comme une fête. »

 

Khalzaa réunit les gens venus de son village – chefs de bags , gardiens -pour convoyer la nourriture du bétail.

La piste sera difficile et les chauffeurs doivent pouvoir se relayer et s’épauler car les pièges ne manquent pas lors de la débâcle au passage des rivières.

 

La Présidente de la Fondation invite toute l’équipe dans une cantine en attendant la nuit.

 

C’est à ce moment, lorsque les pistes défoncées regèlent qu’il faut partir. « Nous avions trois camions : deux pour la Fondation et l’autre pour l’Agence des Situations d’Urgence.
Certains mettront plus de 16 heures pour regagner Malchin. »

Khalzaa fait un discours pour parler de cette aide qui arrive d’Europe et sur les actions que la Fondation prévoit de mener. En bon Mongol, il est visiblement ému :

« Des gens qui ne vous connaissent pas ont constitué cette aide précieuse qui arrive à temps. Cette chaine de solidarité qui vient de si loin doit continuer.
Alors, participez vous aussi à ce mouvement en donnant un coup de main à vos voisins.
La période du changement de campement arrive malgré la rigueur climatique de ces derniers jours. Tous les nomades qui vont descendre dans la plaine n’auront rien pour faire du feu. Alors je vous demande de préparer un sac de bois pour que nous puissions leur donner lors de leur passage au village. Ainsi, ils pourront se chauffer pendant le temps de leur installation. Ce sera un geste très apprécié et notre seul moyen de remercier nos amis français».

Darisuren, la trésorière qui s’occupe du registre d’attribution des compléments alimentaires, a fait signer tout le monde. 430 sacs ont réussi à être distribués en une journée et demie. Les gens du village semblent s’unir pour pouvoir répartir tout le plus vite possible.

Le vent a créé d’énormes congères aux abords des campements et la neige s’est engouffrée à l’intérieur même des abris.
Les risques sanitaires sont grands au moment du dégel. Certaines organisations internationales vont détruire ces carcasses.

Les premiers éleveurs rentrent au camp avec leur précieux chargement.

Les agneaux profitent de la chaleur de la yourte au cours de l’hiver.

« Au deuxième jour de notre retour à Malchin, je partis avec trois copains de classe pour voir une amie commune qui supporte une vie difficile, veuve avec 5 enfants. Aller la voir était l’un des objectifs de ma mission.
J’avais acheté des vêtements pour ses enfants sur le marché d’Oulan-Bator. Et puis de la nourriture dans mon village : farine, sucre, jus de fruit concentré, lessive, torchons, thé, bougies, allumettes et biscuits.

Tout le monde me disait que la piste était impraticable après le col et qu’il fallait marcher dans la neige 5 km aller et retour.
En tant que grande  » trekkeuse  » aux courtes pattes, j’ai insisté pour y aller.
C’était une journée ensoleillée. Nous en avons profité pour distribuer quelques sacs en route. En fin d’après midi, nous avons laissé la jeep sur une colline. Mes trois copains prirent la nourriture et nous avons dû marcher une heure pour arriver à la yourte de Naraa. L’un d’entre nous a couru pour nous annoncer.

 

En entrant, je me suis trouvée face à notre Naraa. Cela
faisait 16 ans que je ne l’avais pas revue. Ces années l’ont
usée comme je n’aurais jamais imaginé. Elle était très
touchée par notre arrivée au point de ne pas parler pendant plus de 10 minutes. Elle faisait du feu et préparait du thé sans rien dire. Je regardais tout en détail.
Elle est pauvre et fatiguée, déprimée peut-être, mais cette
femme n’a pas perdu le sens de la propreté. J’étais très
émue de voir tout cela.

Elle a 5 enfants et change chaque année de patron. Elle fait vivre sa famille en s’occupant du bétail
des autres. Je craignais que ses employeurs ne la respectent pas. Je suis allée les voir. J’étais la plus heureuse de cette vallée. Elle était bien épaulée.
Nous sommes restées ensemble pendant trois heures. Mes compagnons de voyage nous ont laissé parler. »

« Et puis nous sommes partis comme nous étions venus. Elle nous a accompagnés jusqu’à notre jeep.
Elle avait des larmes lorsque je la pris dans mes bras. Je voyais dans son regard une question évidente à mes yeux : Pendant tous ses années, pourquoi tu n’es pas venue et pourquoi maintenant ?

Une heure après notre départ, nous étions engouffrés dans une tonne de neige. Jusqu’à 3 heures du matin, mes amis ont creusé la neige.
J’avais peur d’arriver auprès de mes trois gars sans un seul de mes doigts. Mes copains n’étaient pas aussi conscients de la gravité de la chose. Moi, j’ai eu une peur bleue car il n’y avait aucune famille autour de nous. La tombée de la nuit n’arrangeait rien. Il faisait – 25°. Le matin, très tôt, nous sommes montés au sommet d’une colline pour pouvoir appeler mon frère par téléphone.
Deux heures après, ils vinrent nous sortir de la neige. Je me suis rendue compte que tout le village avait appris à
nager dans une sorte de fatalisme. Tous les 3 étaient partis en casquette. J’étais tellement impressionnée que j’ai touché leurs oreilles pour voir comment elles étaient devenues.

 

Je repensais à mon amie. Elle envoie 3 de ses 5 enfants à l’école pour qu’ils ne se retrouvent pas tous dans sa situation.
Je lui avais demandé de quoi elle avait le plus besoin. Elle était très touchée par notre arrivée mais ne se sentait pas mériter de recevoir autant d’aide.

 

Pour cette fois, la Fondation a fourni une aide alimentaire, des vêtements pour sa famille et le remboursement de sa dette dans une boutique du village (200 000 ₮).
Au retour dans le village, nous sommes allés voir ses enfants pour les saluer. J’ai demandé à une amie responsable des classes maternelles de particulièrement
veiller sur la petite fille de Naraa. »

 

« Je repars en laissant derrière moi un paysage encore plus blanc.

Il neige et il y a du vent. Heureuse de rentrer, mais je sens que le printemps n’est pas prêt d’arriver.

Vous voyez ces deux hommes en salutation traditionnelle. Normalement, les expressions changent à l’arrivée du printemps.

 » Avez-vous passé un bon hiver ? Est-ce que le bétail a franchi l’hiver en s’engraissant ? « .

 C’est ainsi que les gens se saluaient. Mais ils parlent aujourd’hui de la difficulté de se saluer comme avant. Comme si rien ne s’était passé.

Ces troupeaux de moutons devront attendre encore 2 longs mois avant de retrouver de l’herbe fraiche, comme pour les chèvres. La hausse récente du cours de la laine de cachemire donne aux éleveurs l’espoir de revenus suffisants pour participer eux-mêmes à l’achat de nouveaux animaux cet été.

« La femme à ma gauche sera notre appui sur tout ce qui concerne l’éducation. « Je pris l’avion dans un état comblé, car habitée par l’énergie débordante de pouvoir faire des choses pour ce village. Cette première action nous a ouvert une porte. Et c’est grâce à vous. Nous soulèverons les montagnes par notre force commune. »
Je ne vous remercierai jamais assez, car sans vous je n’aurais jamais su explorer ce sentier qui est le notre. Merci. Merci d’être là !